Aux archives nationales, dans le fonds Moscou, à la cote 19940434/628, se trouve le dossier 52477 qui est celui de Benoit Broutchoux. La pièce référencée 199 de ce dossier est le courrier que cet anarchiste envoya au Président du Conseil le 3 août 1914 pour obtenir sa libération dès la déclaration de guerre du 2 août 1914 par la France.
Nous y voyons un Broutchoux qui se joint à l’unité nationale pour la défense de la République. Il use des liens anciens noués pendant l’Affaire Dreyfus pour justifier la clémence du Président du Conseil. Broutchoux fut libéré en septembre 1914, après intervention gouvernementale.
Il rejoignit le grand mouvement des principales figures du socialisme, de l’anarchisme et du syndicalisme dans l’union nationale et pro-belliciste, après Jean Allemane, Jean Grave, Jules Guesde, Edouard Vaillant. Les deux autres figures tutélaires, Paul Brousse et Jean Jaurès, étaient morts l’un en 1912 et le second le 31 juillet 1914. Le mouvement ouvrier n’avait plus de représentation indépendante du gouvernement en cet été 1914. Benoit Broutchoux reviendra sur son ralliement à l'union Sacrée et s’engagera dans le mouvement pacifiste en janvier 1916.
Prison de Béthune, 3 août 1914
M. le Président du Conseil,
Citoyen Viviani,
En nous faisant arrêter préventivement, vous avez commis une maladresse politique, au point de vue de la défense nationale et au point de vue de la défense républicaine.
La plupart d’entre nous sont mobilisables et avaient l’intention de rejoindre leurs corps car nous considérons cette guerre comme défensive et légitime puisqu’elle est la réponse nécessaire à l’impérialisme belliqueux austro-allemand. Le gouvernement français avait fait preuve d’intentions pacifistes, cela nous le savions. Son attitude après le meurtre de Jaurès lui avait concilié bien des sympathies chez nous. Pourquoi avoir brisé tout cela par un geste aussi impolitique que celui de nos arrestations ?
J’ai été arrêté trois fois pendant l’Affaire Dreyfus. Je vous ai eu une fois comme avocat. Vous ne vous en souvenez peut-être plus. Pourquoi me faire arrêter aujourd’hui ? Vous vous rappelez bien, citoyen Viviani, que s’il n’y avait pas eu des manuels dreyfusards comme moi pour seconder les intellectuels dreyfusards comme vous, la République était perdue. J’ai été arrêté bien des fois. Depuis, je n’ai pas jamais eu tant mal au cœur que cette fois. Au moment où le pays a besoin de nous, où la République peut être attaquée par les royalistes et les bonapartistes, vous nous suspectez, vous nous jetez en prison en nous inculpant d’association de malfaiteurs !
Non, vraiment, le Conseil des Ministres a [mot manquant : « été », sans doute] bien mal
inspiré en prenant pareil décision. La maladresse commise est encore réparable. Si le gouvernement n’a pas perdu tout bon sens, il doit nous faire relâcher immédiatement. En ce qui me concerne, je suis mobilisable jeudi et je m’engage à rejoindre mon corps.
Agréez mes civilités empressées.
Benoit Broutchoux