Un espace historique sur le mouvement ouvrier

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socialisme, origines du communisme français, biographies


De Jaurès à Pétain. Itinéraires de L.-O. Frossard

Publié par Francois Ferrette sur 30 Octobre 2013, 13:38pm

Catégories : #Notes de lectures

de-jaures-a-petain-itineraires-de-l-o-frossard-de--copie-1.jpgVoici la première biographie d’un personnage de premier plan de l’entre-deux-guerres. Frossard a eu un riche parcours politique, au sein du pacifisme puis dans les deux premières années du parti communiste et enfin au sein des institutions. C’est ce cheminement particulier auquel nous convie Francis Peroz dans son ouvrage, qui nous restitue une trajectoire controversée.

 

 

Avant tout, commençons par les mauvais points du livre, les aspects qui manquent de netteté et contiennent des erreurs. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur, la SFIO n’a pas été fondée par deux forces politiques mais par trois. En plus du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, le POSR, et du Parti socialiste de France, le PSdF, il y a eu le parti socialiste français, le PSF, regroupant les socialistes indépendants et des fédérations autonomes (p.19). Le POSR est lui-même mal identifié puisque son sigle est annoncé ainsi : PSOR (p.25). La direction de la SFIO, la commission administrative permanente devient la « commission administrative paritaire » (p.42). Pierre Renaudel, autre figure importante du socialisme, devient Paul Renaudel (p.46-47). De même, Monatte se prénomme Gaston (p.51) puis reprend son vrai prénom, Pierre, dans le reste du livre. Les grèves de 1919 et 1920 sont confondues et la révocation des 18000 cheminots est attribuée à tort à l’année 1919. Le Comité de résistance socialiste fondée à l’automne 1920 par les opposants à l’adhésion à l’Internationale communiste, se mue en « comité de résistance sociale » (p.68). Enfin, ce n’est pas Aimé Méric qui accompagne Frossard dans sa démission en janvier 1923 mais Victor Méric. Ces erreurs ont de quoi déconcerter ceux qui suivent de près les recherches historiques et qui cherchent à préciser leur pensée sur la période de l’entre-deux-guerres. Cela fragilise le reste de l’ouvrage dont on peut se demander s’il est de la même qualité. Par ailleurs, une notice biographique avait déjà été consacrée par Justinien Raymond à Frossard dans le Maitron et cela nous permet de savoir ce qui s’ajoute ou se retranche à ce qui avait déjà été écrit.

 

Les dates sont ainsi plus précises. On apprend ainsi le rapide retour dès juillet 1924 de Frossard dans la SFIO. Sa fidélité au Parti dure jusqu’au 1er juin 1935, date à laquelle il devient ministre du Travail. Il donne sa démission le jour même de la SFIO. Dans sa trajectoire personnelle, il évolue alors très vite, en quelques années, d’un militant de la gauche de la SFIO vers les positions les plus droitières au point de s’allier à son ancien adversaire Pierre Renaudel dont il combattait les thèses en 1920. Si Renaudel crée en 1933 le Parti socialiste de France, Frossard ne le suit pas tout en étant en proximité politique par la création de l’intergroupe parlementaire. Frossard reste dans les sommets de l’Etat, avec une interruption au moment du front populaire pour retrouver un portefeuille ministériel le 18 janvier 1938 et doit démissionner le 23 août suivant.

 

Après avoir été ancré dans le mouvement ouvrier, il choisit une orientation qui le place sur le terrain de la droite. A propos des grèves, il indique « que celle-ci indispose l’opinion publique, la trouble, l’irrite, l’alarme. Elle dresse le sceptre du désordre. » Il ajoute « l’esprit d’entreprise ne s’accommode pas de l’insécurité des rapports du travail et du capital ». Un tel discours le conduit donc à se rapprocher de l’aile la plus à droite des rangs socialistes et adhère en 1935 à de l’Union socialiste républicaine (USR). En juin 1938, il en devient le président (Marcel Déat, secrétaire général), organisation issue de la fusion en 1935 du Parti socialiste de France (scission de droite de la SFIO en 1933) et du parti socialiste français (issu d’une série de fusions/scissions de droites de la SFIO entre 1905 et 1919 et de socialistes indépendants).

 

On pourrait s’interroger sur l’étroitesse de la base militante de ces organisations citées, du réformisme déclaré qu’elles défendaient et qui les rendaient suspectes aux yeux des socialistes SFIO. Le réformisme ouvert n’a jamais connu de grandes heures de gloires parmi les socialistes mais plutôt a constitué des groupes marginaux entièrement tournés vers la gestion de l’Etat capitaliste. Ce faisant, ils rompaient avec la tradition typiquement française du mouvement ouvrier.

 

Dans la notice du Maitron, Justinien Raymond s’arrête au 10 juillet 1940 alors que Péroz va préciser la pensée et l’action de Frossard jusqu’en 1944. Péroz nous fait alors découvrir un Frossard anglophobe, méfiant à l’égard de Chamberlain et qui déterminera sa conduite pendant la Deuxième Guerre mondiale,  notamment son aversion envers de Gaulle. En attendant, Frossard se retrouve ministre du Travail le 5 juin 1940.

 

Le 16 juin, le président Lebrun après la démission de Paul Reynaud, fait appel à Pétain lequel forme un nouveau gouvernement dans lequel Frossard conserve son ministère. Le 22 juin, les représentants français et allemands signent l’armistice et la France est partagée en deux : la moitié nord est occupée par les Allemands et la moitié sud sous contrôle du gouvernement de Vichy. Le 10 juillet, Pétain soumet un projet de loi clôturant l’histoire de la IIIè République et ouvrant la porte à l’Etat français avec les pleins pouvoirs accordés à Pétain. Frossard vote pour mais n’est pas repris dans le nouveau gouvernement.

 

Après le 10 juillet, Frossard continue la politique, crée un journal Le Mot d’Ordre le 19 août 1940, applaudit la collaboration entre la France et l’Allemagne, espère en voir sortir une Europe nouvelle. Il participe à un conseil national à partir de janvier 1941 qui est un substitut à l’assemblée nationale. Mais dès novembre, sa composition est remaniée et Frossard n’en est plus membre. Une vive attaque l’avait opposée à Jean Boissel, chef du Front franc qui lui reproche les origines juives de sa famille et son appartenance à la franc-maçonnerie. Plus ou moins isolé, Frossard poursuit une politique ambigüe de soutien au régime de Vichy et d’aide financière au centre américain de secours dont l’objectif est de sauver des personnalités françaises. Sa bienveillance à l’égard du régime de Vichy vaut à son journal des subventions publiques régulières d’un montant important entre 1941 et 1944. Cependant, la rédaction du Mot d’Ordre est composée de nombreux résistants. Entre 1941 et 1942, Frossard passe d’une bienveillance à l’égard du national-socialisme à une distance réelle. Va-t-il entrer dans la Résistance ? Il refuse les actes dits terroristes (ceux  menées par les communistes) et se rapproche du général Giraud qui incarne l’aile « gauche », si l’on peut dire, du régime de Vichy. Frossard envisage même de gagner l’Angleterre en octobre 1942, sans soutenir de Gaulle. Informé, Jean Moulin refuse catégoriquement le transfert.

 

Toutes ces circonvolutions ne l’empêcheront pas un procès à la Libération. On lui reproche alors le vote des pleins pouvoirs votés le 10 juillet 1940 et d’avoir été ministre dans les deux derniers cabinets Pétain du 14 juin au 10 juillet. Le 15 novembre 1945, le Président de la commission d’instruction de la Haute Cour de Justice reconnaît que Frossard a été nommé par le Président de la République Lebrun et qu’en conséquence n’a jamais appartenu à un gouvernement du régime de Vichy. Cependant, il est poursuivi le 31 décembre 1945 pour la politique de Collaboration à travers sa presse et pour avoir été membre du conseil national en 1941. Frossard meurt d’une hémorragie cérébrale le 11 février 1946, sans avoir été jugé.

 

Quelle était la part de sincérité et de calcul dans chacune des initiatives politiques de Frossard ? On peut aussi se demander plus précisément à quelle date il a pu passer de la sincérité à l’opportunisme. Son passage dans les rangs socialistes, en deux fois, lui a servi de marchepied pour une carrière solo. Francis Péroz insiste sur l’opportunisme du personnage et sa conclusion est fort juste : « Frossard suit des itinéraires dictés par les courants idéologiques dominants ». Loin d’avoir été un homme clairvoyant, il a été un aventurier politique dans le mouvement ouvrier puis un tranquille gestionnaire des institutions de la IIIè République. Bref, un homme versatile qui n’inspire pas confiance, un anti-modèle en politique.

 

François FERRETTE

 


Francis Peroz, De Jaurès à Pétain. Itinéraires de L.-O. Frossard, Université de technologie de Belfort-Montbéliard, 2012, 281 p, 14 €

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A
Un commentaire bien idéologique sur le parcours de Frossard qui n'a jamais été favorable à la collaboration avec l'Allemagne, qui n'a jamais été un collaborateur, encore moins fasciné par le national-socialisme : relire son discours à la Chambre des députés en 1940 où il renvoie dos à dos Hitler et Staline. Les Allemands ont tout fait pour obtenir sa destitution de maire de Ronchamp et ont même demandé son arrestation (après avoir pillé sa maison). L'ambiguïté du personnage mérite mieux qu'un compte-rendu bien maigre, aigri et plein de rancoeur, qui tient sans doute au fait que Frossard a quitté le PCF en 1923, et donc toujours considéré comme un traître. Anticonformiste est le mot qui convient pour parler de Frossard, bien plus qu'opportunisme. Car il faudrait replacer aussi son parcours dans le contexte de l'époque. Dommage de passer à côté d'un si fascinant personnage, et de ne pas faire oeuvre d'historien en jugeant un personnage au lieu d'analyser son parcours...
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